Propos autour de la décision de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation du 28 septembre 2023 (n° 22-15.576).
Afin de lutter contre le morcellement des forêts, le législateur a institué un droit de préférence au profit de propriétaire (s) forestier (s) d’une ou plusieurs parcelle (s) contiguë(s) en cas de vente d’une parcelle boisée d’une superficie de moins de 4 hectares.
Ce droit légal d’acquisition prioritaire contribue ainsi à la restructuration des petites parcelles boisées morcelées, en permettant une nouvelle unité foncière avec les parcelles forestières voisines.
Ce droit de préférence suppose, pour pouvoir trouver à s’appliquer, qu’un propriétaire vende une parcelle boisée, classée au cadastre en nature de bois et d’une superficie totale inférieure à quatre hectares.
Ainsi, s’agissant des biens susceptibles d’être soumis à cette préférence légale, l’article L. 331-19 alinéa 1er du Code forestier, dispose qu’il doit s’agir “d’une propriété classée au cadastre en nature de bois et forêts“, d’une superficie précise et limitée.
La parcelle vendue doit réellement être constituée de bois et, être classée comme telle au cadastre – catégorie 5.
En revanche, s’agissant de la parcelle contiguë de celle vendue, elle doit seulement être en nature réelle de bois, c’est-à-dire porter effectivement des plantations, des semis et/ou des boisements d’une certaine densité.
Et, la nature du classement au cadastre de ladite parcelle est indifférente.
En effet, la référence faite par la loi aux indications du cadastre est réalisée uniquement afin de déterminer l’identité des “propriétaires”, bénéficiaires du droit de préférence, de sorte de limiter le champ des recherches qui doivent être accomplies aux seuls propriétaires figurant au cadastre.
Ces indications cadastrales ont alors une portée et une valeur juridiques : elles permettent d’établir des droits de priorité au profit de ceux identifiés comme propriétaires et des obligations pour ceux qui possèdent les parcelles visées par l’article L.331-19 du Code forestier.
Le droit prétorien, en la matière, est assez rare.
La décision rendue par la Cour de cassation en date du 28 septembre 2023 mérite donc d’être signalée.
Elle répond à la question de savoir si le propriétaire forestier, titulaire d’un droit de préférence en vertu de l’article L. 331-19 du Code forestier peut obtenir la vente forcée de la parcelle lorsque le vendeur refuse de la lui vendre et, choisit, de renoncer à la vente.
Pour exercer la purge de ce droit, le vendeur est tenu de notifier aux propriétaires d’une parcelle boisée contiguë le prix et les conditions de la cession projetée, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou, lorsque le nombre de notifications est égal ou supérieur à dix, par voie d’affichage en mairie durant un mois doublée d’une publication d’un avis dans un journal d’annonces légales -art. L.331-19 alinéa 2 du Code forestier.
Tout propriétaire d’une parcelle boisée contiguë dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification pour faire connaître au vendeur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par remise contre récépissé, qu’il exerce son droit de préférence aux prix et conditions qui lui sont indiqués par le vendeur.
Lorsque plusieurs propriétaires de parcelles contiguës exercent leur droit de préférence, le vendeur choisit librement celui auquel il souhaite céder son bien.
Mais, l’article L.331-19 du Code forestier ne précise pas la valeur juridique de cette notification : emporte t-elle offre de vente ou indique t-elle une simple intention de vendre ?
C’est au législateur, en principe, d’indiquer la valeur des notifications réalisées en application d’un droit de priorité qu’il soit de préemption ou de préférence.
Ces dernières sont souvent assimilées à des offres de vente : tel est le cas notamment du droit de préemption du preneur à bail organisé par l’article L.412-8 al.2 du Code rural ou de celui du locataire au titre de l’article 15 II de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.
Sur ce point l’article L.331-19 du Code forestier est silencieux.
Mais alors, que se passe-t-il si le vendeur entend ne plus céder sa parcelle alors même qu’un des bénéficiaires du droit de préférence manifeste sa volonté d’acquérir ?
Les juges de droit répondent de manière pragmatique : ce vendeur peut renoncer à céder sa parcelle. Il n’y a pas eu, de sa part, une offre de vente et, il demeure libre de contracter ou pas.
Ainsi, transmettre le projet de vente aux bénéficiaires du droit de préférence n’est pas un engagement de vendre et ne vaut pas offre ferme de vendre au bénéficiaire.
C’est alors une simple formalité ouvrant une phase de discussion pouvant mener vers un accord contractuel.
Le doute sur la valeur de la notification de l’article L. 331-19 du Code forestier n’existe plus. Elle ne vaut pas promesse unilatérale de vente au sens de l’article 1589 du Code civil.
Cette décision de principe est un retour approprié à l’orthodoxie juridique des droits de préférence.
La volonté du vendeur retrouve une place plus juste : il est libre de contracter.
Dès lors, si le bénéficiaire du droit manifeste sa volonté d’acquérir, l’expression de cette volonté n’induit pas l’obligation de lui vendre le bien mais simplement de ne pas le vendre à un tiers.
La liberté contractuelle du vendeur est ainsi sauvegardé autant que sa propriété.